A 34 ans, le Kid de Las Vegas continue de dominer le monde du tennis. D'origine modeste, il explique comment il a réussi carrière et vie privée.Je suis né à Las Vegas, j'habite Las Vegas, je mourrai sans doute à Las Vegas… C'est ici, dans la ville où tout se joue sur un coup de dés, même un destin, que mon père, champion de boxe professionnelle, nous a élevés, nous, ses quatre enfants. Arménien d'origine, il est arrivé aux États-Unis quand il avait 18 ans pour embrasser le rêve américain. Il est marié depuis quarante-cinq ans à ma mère. Dans sa vie, il a fait un sacré boulot. Petit, je ne m'intéressais pas spécialement à la boxe, vacciné par les matchs que mon père et les plus grands regardaient à la télé. Je n'avais aucune fascination pour ce qui me paraissait ordinaire, puisqu'appartenant à notre quotidien. Il a fallu que je grandisse pour comprendre que c'était un sport hors norme. Le tennis a beaucoup de points communs avec la boxe. Le court est un ring sur lequel vous entrez pour affronter un adversaire, face à face. L'engagement physique est total à chaque coup que vos portez vers l'autre, même si vous ne le touchez pas directement. Et si vous ne gagnez pas par un K-O rapide au bout de trois jeux, le duel s'éternise, vous êtes compté aux points. J'ai découvert le tennis en accompagnant mes frères et sœurs aînés quand ils allaient jouer sur un court. J'étais le plus jeune du clan et je m'ennuyais à les regarder. J'avais envie de prendre une raquette, de poser ma tête dessus et de m'endormir sur le tamis. Mais, quelques années plus tard, poussé par mon père, j'ai commencé à jouer. Et tout a changé. Je ne me souviens pas d'un seul jour sans avoir pensé que je deviendrais numéro un mondial. Très vie, j'ai joué mieux que les autres gamins de mon âge, mon père voyait que j'avais un don, il m'a conditionné pour devenir une bête de court ; pour ne pas lui être désagréable, j'ai accepté cette destinée qu'il m'avait choisie, sans renâcler sur les sacrifices que cela a vite exigés de ma part. Aujourd'hui, je ne regrette rien, j'en sais gré à l'obstination paternelle. Mon père savait que monter sur le ring revenait à affronter sa vie. Vous êtes là, quasiment nu, vous devez régler vos problèmes en homme, avec force, dignité, intelligence, tactique, patience. C'est ce que j'ai retenu de la leçon. Chaque match que j'ai joué revenait pour moi à affronter des problèmes qu'il fallait à tout prix résoudre. Le sport, à ce niveau, vous apprend l'humilité de l'existence, surtout quand vous perdez, malgré tout ce que vous avez tenté - lancé - dans la bataille. D'ailleurs, c'est curieux, mais la victoire ne vous satisfait pas longtemps, elle est de courte durée, contrairement au travail quotidien qui vous pousse à aller au-delà de vous-même, à reculer les frontières de votre possible. Un beau jour, vous êtes encore jeune, le conte de fées s'achève. Vous avez tenté des come-back au sommet, ça n'a pas marché comme vous l'auriez voulu, il faut apprendre à vivre avec le happy end du conte de fées, et dans aucun livre des Grimm ou d'Andersen on ne vous donne le fichu mode d'emploi. Votre vie privée vous rattrape alors, vos succès, vos erreurs, vos mariages, vos divorces. Pour la mienne, je me suis toujours nourri de l'exemple de mon père. A 23 déjà, avec les premières victoires, l'argent qui commence à couler à flots, j'ai compris qu'il fallait que je rende une partie de tout cet amour, de cette énergie que l'on m'avait donnés. Il ne s'agissait pas pour moi de faire don de quelques millions de dollars à des œuvres caritatives pour m'acheter une conscience, puis de passer à autre chose, l'âme en paix, le sommeil lourd. Je me suis investi dans des associations, dans l'éducation, et je n'ai jamais cessé depuis, avec mon argent, mais aussi avec mon temps, mon action. Je me souviens, j'étais assis avec mon meilleur ami d'enfance, Perry Rogers, que je connais depuis mes 11 ans, avec qui je partage les mêmes rêves, et qui gère mes affaires. Nous avons posé entre nous, verbalement, les principes fondamentaux de ce que nous pourrions faire : habiller les enfants défavorisés, les nourrir, leur trouver un toit, le bâtir s'il le fallait. Leur donner les bases de l'éducation, lire, écrire, pour qu'un jour ils puissent s'en sortir. Nous avions décidé, comme ça, qu'il nous fallait rassembler 10 millions de dollars (7,67 millions d'euros), ainsi nous pourrions, chaque année pendant la décennie à venir, injecter 1 million de dollars (767 401 euros) pour notre communauté d'aide aux enfants. Nous pensions également monter un concert de charité avec toutes les stars du rock que je commençais à connaître. Avec le premier événement, nous avons rassemblé 1,8 million de dollars au bénéfice de l'association. J'étais heureux parce que je commençais à rembourses ma dette d'enfant privilégié, ce trop-plein d'amour et d'humanité que j'avais reçu quand d'autres manquaient de tout. Aujourd'hui, dans notre école, nous aidons aussi des enfants malades, qui ont besoin de soins psychologiques, des gamins sans abri, et nous parvenons à habiller et à nourrir trois cent mille petits par an. Le matin, quand je suis à la maison, c'est mon petit garçon de 3 ans qui me tire du lit en me disant : "Allez, papa, dépêche-toi, lève-toi !" L'autre n'a que quelques mois, il me laisse tranquille. Une fois debout, je joue avec l'aîné pendant quarante-cinq minutes et je l'emmène à l'école. Puis je travaille - ou je m'entraîne - pendant quelques heures. L'après-midi, je passe à nouveau du temps avec mes enfants, nous jouons, nous préparons le dîner, parfois un barbecue avec des amis. Un tel jour est un grand jour, un moment de rêve, et je fais en sorte d'en vivre beaucoup avec les miens. Ma femme, Steffi, parle parfois allemand avec les petits, moi je ne fais guère d'efforts pour apprendre sa langue, c'est, je pense, une des seules choses qu'elle pourrait me reprocher. Ma relation avec Steffi est fondée sur une expérience simple de la vie, celle que m'a enseignée sans jamais me le dire mon père : "Bats-toi pour protéger ton bonheur, avec humilité." Brooke Shields et moi avons divorcé parce que ni l'un ni l'autre n'étions prêts à accepter cette élémentaire leçon de bonheur au quotidien. Avec Steffi, nous avons deux enfants. J'ai assisté à leur naissance. Cela permet de connaître la valeur de la vie. Et je ferai tout pour continuer à assister à la renaissance des enfants défavorisés dont nous nous occupons. Recueilli par Daphne Barak "VSD" n° 1422 (25 nov-21 déc 2004) |
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